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Vers une réappropriation démocratique des choix
technologiques: le Publi-Forum
Membre du comité directeur Evaluation technologique du Conseil suisse
de la science Président du groupe d'accompagnement du Publi-Forum
Directeur romand de la Société suisse pour la protection de
l'environnement
Science et société, deux logiques
Science et société sont deux mondes qui ont beaucoup de peine
à se parler, et dont les méthodes sont obscures l'une à
l'autre:
- Les processus de société sont régis par les
procédures de formation de l'opinion et de prise de décision.
Leur règle de fonctionnement est la volonté des
décideurs, en démocratie celle de la majorité.
Son critère: des échelles de valeurs, explicites ou
implicites, des options sur ce qui paraît souhaitable aux
acteurs sociaux. La décision: une addition de subjectivités.
- La méthode de la science, de l'expertise est complètement
différente. Il s'agit d'établir des faits, d'observer,
de constater. Les résultats sont validés par
réitération de l'expérience et par jugement des
pairs. Au contraire du domaine politique, la subjectivité est
bannie de l'observation.
Le politique raisonne en termes de "bien" ou de "mal";
la science, en termes de "juste" ou de "faux".
Cependant, le scientifique est aussi citoyen. Un citoyen qui, en
raison de son savoir, a une responsabilité particulière
dans la communauté. Il doit apprendre à se situer sur
une échelle de valeurs, à s'exprimer sur des sujets
qu'il ne maîtrise pas en tant qu'expert. Il doit comprendre les
mécanismes du débat social, admettre que ce dernier
englobe les priorités de la recherche et l'emploi de ses
résultats.
Le politique quant à lui doit apprendre à séparer
les faits des options et à admettre le poids des faits même
s'ils ne correspondent pas à ses attentes. Il a tendance à
utiliser le monde scientifique pour légitimer ses propres
choix et à décréter qu'il n'y a plus matière
à discussion, "les experts ayant parlé".
L'établissement
de scénarios est une façon de clarifier les rôles
des uns et des autres, le rapport entre faits et opinions. Cet
accompagnement social de la mise en oeuvre d'une technologie ne doit
cependant aucunement être confondu avec une interférence
du politique dans la méthodologie de la recherche, dans la
liberté académique.
La dimension sociale de la science et de la technique
L'innovation scientifique relève certes de la compétence, de
l'inspiration et du travail du chercheur. Mais ce travail, pour
aboutir, ne peut que très peu s'abstraire des conditions
institutionnelles: s'il peut s'opposer à la liberté
du chercheur, à ses directions de recherche, à ses
publications, voire imposer une vue doctrinale sur tel ou tel point
de connaissance, le pouvoir agit avant tout par l'allocation des
moyens: la recherche se fait ou ne se fait pas en fonction des
crédits disponibles. Or, ces crédits ont principalement
deux sources: le pouvoir d'Etat; le pouvoir économique. Dans
l'histoire, la science a toujours été tributaire de ces
logiques. Il en va ainsi à plus forte raison, s'agissant de sa
mise en oeuvre: la technologie.
De nos jours, la plupart des Etats ont une politique de la recherche et
de la technologie, généralement déterminée
par une logique de compétitivité, économique
et nationale. Dans une société démocratique,
les facteurs prestige, raison d'Etat, intérêts
militaires peuvent être discutés (dans une certaine
mesure) et la politique de la recherche connaître des
orientations en termes de priorités (recherche fondamentale,
santé, agriculture etc.). Cependant, pour ce qui concerne
les fonds privés, le marché, donc la rentabilité
escomptée d'une recherche, est le critère
majeur.
N'oublions pas, également, que l'histoire de la technologie est autant
celle des technologies que l'on développe que celle des
technologies que l'on ne développe pas. Dans les deux cas, il
s'agit d'un processus dans lequel actuellement la démocratie
n'intervient guère.
Technique et démocratie
On peut observer trois attitudes dans nos sociétés face
à la technologie. D'une part, une attitude de rejet, nourrie de la nostalgie
du passé, et manifeste dans notre société à
chaque étape de la révolution industrielle, depuis les "casseurs de
machines" des années 1830 jusqu'aux chantres de la vie
champêtre. D'autre part, une attitude excessivement optimiste,
qui estime que la technologie trouvera des solutions à tous
nos soucis et qu'il faut dans tous les cas de figure s'adapter à
son évolution ("vivre avec son temps").
En réalité, une troisième possibilité
existe, entre l'acceptation ou le rejet, qui consiste à
réfléchir aux retombées et chercher à
orienter le cours des choses. Cette attitude se fonde sur le
développement de capacités d'anticipation et de
pilotage. Ce n'est que récemment que l'on a saisi la dimension
politique des choix technologiques, compris que derrière les
choix technologiques il y avait des dimensions de choix de
société.
Dans notre système démocratique, nous avons la
possibilité de nous prononcer sur de nombreux sujets. Mais ce qui est le
plus important, le plus structurant pour nos vies et notre société
échappe aux processus démocratiques: l'introduction des
technologies. Il convient de réaffirmer avec force que science
et technique ont des effets sociaux, que leur production est
largement socialement déterminée et qu'il faut en
conséquence que le champ démocratique se réapproprie
ces domaines essentiels.
L'exemple de la génétique montre combien il est important de
débattre à temps des garde-fous sociaux. Il s'agit de
promouvoir le désirable et de freiner l'indésirable.
Nous nous demanderons en conséquence comment orienter les
choses avant qu'il ne nous en coûte trop cher, et comment
obtenir que l'innovation technique cadre avec les besoins sociaux.
Economie, science, technique sont des produits de la société
humaine et doivent pouvoir être pilotées par elle.
L'interface indispensable: l'évaluation technologique
Dans notre pays, ces questions ont été posées pour la
première fois dans le domaine du nucléaire, puis de la
biotechnologie, et par des mouvements de base.
Pour le nucléaire, le mouvement a d'emblée revendiqué
des procédures de contrôle démocratique: la
première initiative populaire fédérale votée
sur le sujet, en 1979, réclamait un "contrôle
démocratique du nucléaire". Ce n'est que dans un
deuxième temps que le mouvement a mis en discussion les
alternatives au nucléaire qu'il combattait, à savoir
des politiques d'économies d'énergie. Cela a
débouché en 1990 sur le moratoire et l'article sur
l'énergie, et maintenant sur Energie 2000.
Pour la biotechnologie, le mouvement de base a été plus
tardif et a essentiellement porté sur le fond et non sur
l'établissement de procédures. Ainsi, l'initiative de
1987 qui a débouché sur le contre-projet adopté
en 1992 comportant notamment la notion de respect de la créature:
quant à l'initiative dite "protection génétique",
elle interdit certains procédés.
Nous observons, outre les orientations différentes de ces deux
mouvements, deux phénomènes:
- sans la pression de la base, la législation serait restée
très en retrait
- aucun débat structuré ne concerne des domaines
comme la technologie médicale, celle des transports ou celle
de l'information.
- chaque dossier est pris pour lui-même.
Dans cette situation, notre question sera de savoir comment on peut
associer les citoyens à ces choix. Elle sera aussi de savoir
comment anticiper plus lucidement les effets des innovations, sur le
plan culturel, humain et social, comment être informé à
temps sur les enjeux, comment créer le débat, comment
disposer du pouvoir d'imposer des règles.
Il est essentiel que les discussions quittent la sphère de
l'approche ponctuelle, du secret et du fait accompli. Pour ce faire,
il importe que la société se donne des outils d'une
approche systématique:
- Des outils d'observation. Il s'agit de savoir ce qui se passe,
par une sorte de veille technologique (fonction de documentation).
- Des outils de débat. Il faut que les auteurs
d'innovations et les citoyens se parlent à temps, et à
fond. Il s'agit à la fois d'augmenter la compétence
matérielle des citoyens, et d'obliger les chercheurs à
rendre compte.
- Des outils d'évaluation, ensuite. Il s'agit ici de
confronter ce qu'on voit avec ce qu'on estime souhaitable.
- Des outils de régulation, enfin. Il s'agit, en fonction
des analyses faites, de dégager des principes, des règles,
permettant de promouvoir les innovations souhaitables, et d'encadrer
les effets négatifs détectés par ailleurs. Au
bout du chemin, il doit y avoir la possibilité d'une
régulation sociale, expression de la volonté politique.
La clé d ela réappropriation sociale de la technologie
réside bien dans la définition de modes d'emploi.
De tels outils n'existent que très partiellement. Des commissions
d'éthique n'en sont qu'un aspect.
La fonction de l'évaluation technologique est ici de construire
un lieu qui:
- rassemble la documentation existante
- la complète par des études propres
- soit visible
- organise le débat.
En Suisse, le programme d'évaluation technologique, mis en oeuvre
dès 1992 et rattaché au Conseil suisse de la science,
consiste, dans un premier temps, à accumuler du savoir sur les
enjeux. A cette fin, de nombreuses expertises et études sont
commandées et les mandats de recherche suivis par des groupes
d'accompagnement. Actuellement, trois priorités sont
définies:
les techniques de l'information; la biotechnologie; l'énergie.
Dans un deuxième temps, le programme vise à structurer le
débat social. A cette fin aura lieu au printemps 1998 la
première conférence de consensus en Suisse. Il a pour
nom Publi-Forum, et portera sur les scénarios
d'approvisionnement en électricité. Le but du
programme est de proposer des procédures et des institutions
permettant la rencontre permanente entre science et société;
située à l'interface de la technique et de la
démocratie, elle prépare les institutions de demain,
expression d'une citoyenneté retrouvée, car en prise
sur les enjeux réels.
De nouveaux champ d'expérience pour la démocratie
Pour bien comprendre la portée de ce Forum qui prendra place en mai
1998 à Berne, il importe d'abord de rappeler ce qu'il n'est pas.
Ainsi, ce n'est pas un processus de prise de décision, et encore
moins un processus de négociation. Elle n'a en particulier
rien à voir avec le dialogue sur l'énergie mis en place
par le DFTCE, ni avec Energie 2000. Les participants du panel ne sont
en rien des représentants de groupes de pression ni des
décideurs. Il ne s'agit pas plus de se substituer aux
interactions entre les protagonistes du débat public, le
parlement et le peuple qui sont les instances décisionnaires.
Ce n'est donc nullement une instance de plus dans notre système
déjà lourd, comme certains le craignent, ni un
substitut à la démocratie et à ses processus.
De quoi s'agit-il alors? Il s'agit de réunir des citoyennes et
des citoyens de base, certains engagés, d'autres pas, certains
ayant des opinions sur le sujet, d'autres pas, qui, sollicités
sur une base statistique, acceptent de prendre du temps pour mettre
à la question les acteurs de leur choix. Avec leur bon sens, ayant
recours à la documentation qu'ils ont eux-mêmes
sollicitée, il leur appartient de faire la lumière
quant aux oppositions entre experts, quant aux affirmations des uns
et des autres, d'obliger à la confrontation et à la
transparence.
Ce processus, déjà pratiqué dans des pays comme la
Grande-Bretagne, les Pays-Bas ou le Danemark, s'apparente en fait
plutôt à une formule judiciaire. Elle n'aboutit
cependant pas, bien sûr, à un prononcé juridique,
mais à un constat factuel; dans les deux cas, un jury
populaire se forme une opinion. La décision appartient à
d'autres, il s'agit donc d'une aide à la décision.
Par sa méthode, le Publi-Forum oblige le citoyen à entrer
en matière sur les arguments scientifiques, à
s'impliquer; il oblige les experts et les lobbyistes à aller
au bout de leur raisonnement, et ceci en public.
Cette expérience innovatrice ne se passe pas par hasard en 1998.
Cette année verra de nombreuses manifestations marquer le 150e
annivesaire de la Confédération moderne. Le Publi-Forum
vise à la fois à renouveler le débat
démocratique, à l'interface délicate entre
technique et politique, et à renouveler le débat
énergétique, deux ans avant la fin du moratoire.
Déjà, les parties en présence peaufinent les arguments
de l'affrontement sur ce qui sera une des questions majeures du 21e
siècle: l'approvisionnement en énergie de notre
société. Le Publi-Forum vise sur le fond, en
testant les options et les scénarios existants, à
imaginer des solutions nouvelles, à brasser les idées,
à alimenter le débat public avec du neuf.
Sur la forme, le processus pourra, en cas de satisfaction, être
étendu à d'autres thèmes comme la médecine,
la génétique, l'informatique, l'emploi, partout où
les enjeux de société complexes exigent le croisement
du savoir des experts (qui souvent, étant humains, sont aussi
partisans) et des attentes qu'expriment les citoyens.
La démocratie moderne a besoin de se renouveler pour être
opérationnelle face aux choix à forte détermination
technologique, et nous voulons contribuer par le Publi-Forum à
lui donner un nouvel outil, instrument d'une citoyenneté
active, informée, où l'expertise a pour premier devoir
celui de rendre compte à la société.
Le XVIIIe siècle nous a donné la technologie industrielle
et la démocratie - il est temps de coordonner ces deux
mouvements. L'institutionnalisation de points de rencontre entre
citoyens et producteurs de technologies d'une part, de scénarios
relatifs aux technologies d'autre part, se veut une contribution
forte de l'année 1998 en vue du renouvellement de notre
démocratie.
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